« On a besoin de
rien d’autre. Un peu de bon sens, et assez de confiance en soi pour faire
croire aux autres qu’on assure mieux, ça peut suffire à faire impression. »
John King, Football factory, Paris, Alpha bleue
éditeur, 1998, p. 17.
Lundi matin, 12 novembre je crois. Il fait froid malgré une
belle éclaircie dans l’Aire Urbaine, venant alors contrecarrer l’apparente
grisaille de novembre, d’automne. En moi, comme une étrange sensation revenue
non pas d’outre-tombe, mais de loin, c’est certain. Une petite barre au crâne,
quelques courbatures et surtout la gorge complètement asséchée comme si j’avais
grillé deux paquets de garettes la veille. Et pourtant, je bouge au taf, sourire
aux lèvres, sifflotant encore une petite mélodie d’amour, « Un jour je t’ai
rencontré… », ou un truc du genre. Un peu trop arrogant et confiant pour
une entame de semaine : c’est louche. Ma meuf ronfle encore dans ma boîte crânienne,
nuit agitée, pas envie de causer. Ou plutôt pas envie de me niquer encore
davantage la voix et, ça, madame le sait, elle était avec moi hier. Quelques
odeurs de fumée stagnent d’ailleurs encore sur nos sapes : vestiges d’hier,
sans aucun doute. Vivement la récidive.
Le silence pèse dans l’auto, j’ai cinq minutes de route
avant de renouer avec une routine guidée par la nécessité du gain. Pas le
choix. J’allume vite fait la radio pour briser ça et me mettre dans le bain et
je tombe par hasard sur l’onde locale. Une daronne de soixante berges évoque le
match d’hier. Les propos me scotchent, tant ils sont véritables : « si
je suis ici, au stade, pour le FCSM et contre les propriétaires qui détruisent
le club, c’est parce que je me sens comme étant la mère de tous ces jeunes ».
A la lumière de cette phrase pleine de justesse, quelques
images de la veille : le soleil, encore, le stade de football, la pelouse
en meilleure état que celle de Bonal – c’est dire comme le FCSM va mal en ce
moment – et, surtout, la tribune du stade de football. Mes potes, quelques
visages connus, d’autres quidams encore. Le sourire aux lèvres comme point
commun, et l’écharpe autour du cou, aussi, fiers, heureux surtout. La plupart
des amis avec un petit rafraîchissement dans la main droite et un engin prêt à
brûler à des centaines de degrés dans la main gauche, joli symbole de toute la
tension qu’il y a en nous-même. Trois, quatre, cinq, six puis sept-cents personnes
disséminées entre le gradin central et la main-courante, quelques dizaines de
drapeaux, de la fumée bien chimique, du bruit, des chants, quelques buts, une
victoire, une joyeuse communion authentique, véritable, bien loin des starlettes
du foot-business… Putain ! J’ai de la peine pour ces gens qui ne fouleront
jamais le béton collant et chaud d’un gradin rempli, qui ne vivront jamais l’ambiance
folle d’un stade de football, même petit, même restreint, mais dans lequel les
supporters se sentent proches, concernés, actifs, pour leur club qui les
passionne. Voilà pourquoi je suis d’humeur en ce lundi matin. Et voilà pourquoi
il faut vite remettre le couvert : l’animation d’une tribune, la vibration
pour son club, la présence pour ses potes, son groupe, son équipe, tout un
ensemble créant une foutue drogue. Cinq mois que j’errais, avec les autres,
comme un camé en manque, perdu. Nous replongeons, ensemble. Pour une fois, le
produit est bon, sans risque, addictif, mais bien loin d’être dangereux pour la
santé – bien au contraire. On a voulu nous injecter de la merde dans notre
came, une petite dose venue de l’Est, à laquelle s’est ajoutée un second ajout néfaste
venu du Sud-Ouest. On s’est senti mal pendant quelques mois, ces mecs ont créé
de la pure merde. Mais on s’est chargé de revoir le dosage, le fournisseur, la
provenance. C’est bon, le produit est à nouveau consommable. Quasi pur. Plus au
même endroit, plus dans les mêmes conditions. Ce qui le rend meilleur, même.
« Je me sens comme étant la mère de tous ces jeunes »,
ou comment montrer qu’on comprend la nécessité d’aller supporter son club avec
ses potes. Les miens, mais aussi tous les quidams dingues du même truc :
des gamins, des ieuvs. C’était beau à voir. On a replongé, tous ensemble,
formant qu’un. Un seul Supporter Sochalien. De qualité, costaud, déter. Composé
de ceux qui boycottent l’équipe pro qui ressemble à rien. Composé de ceux qui
vont lutter, a contrario, dans le
stade. On en aura mis du temps… Pourtant, on chie tous à la gueule du FC
Ledus-Baskonia. Mais quand je vois l’exemplarité et le succès de l’action de
dimanche dernier, je me dis – à juste titre et en veillant à ne pas me reposer
là-dessus – qu’on aura leur peau, tôt ou tard, à ces mecs qui se croient tout
permis.
Avec du recul, un brin de sagesse et de « philosophie »,
franchement, ne fallait-il pas vivre, subir et traverser cet instant de crise ensemble,
entre Supporters Sochaliens, parfois paradoxalement l’un contre l’autre, pour
le dépasser ? Si, bien sûr que si. La réponse est oui, mille fois oui. Pas
le choix. Nous devions en passer par là. Et, à l’image de ces bribes
gribouillées dans cette foutue vago qui m’emmène au taf alors que je préférerai
qu’elle m’emmène au stade, qui seront publiées çà ou là, un jour peut-être, le
chapitre « crise » s’est vu être clôturé il y a peu, sans que nous ne
nous en rendions compte. Dimanche dernier, au Blum, le Supporter Sochalien a
entamé une nouvelle page, un nouveau chapitre. Il a pris son écharpe, son
drapeau, sa plume, sa rage, sa détermination, son ras le bol, son amour du
club, sa haine de ceux qui le souillent. Et désormais, conscient de devoir
vivre une sorte de renouveau et d’instant d’après-crise, pour l’écrire, il se
met au boulot…
« Seul un supporter
habitué à fréquenter les tribunes populaires est à même de comprendre
pleinement leur attitude. Un fan, par définition, n’est jamais un véritable
spectateur. […] Peu lui importent alors les conditions dans lesquelles il va
suivre la partie. L’essentiel est d’avoir un rôle actif, d’aide l’équipe […]. Le
match [est] un combat qui se mène debout. C’est surtout une œuvre collective.
Seule cette position donne sa pleine mesure à l’action de masse recherchée, à
la communion qui en découle. »
Philippe Broussard, Génération supporter, Paris, So Press éditions,
2010 [rééd. 1990], p. 52-53.